Rodrigue Sèwènan CHAOU,
Manager financier
Directeur général du Budget/République du Bénin
Quand les citoyens deviennent co-auteurs des décisions budgétaires, la démocratie prend une nouvelle dimension : celle de la cocréation active et responsable.
La République du Bénin a officiellement rejoint la plateforme « Open Government Partnership » (OGP) ou Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) en français à l’issue d’une longue période d’observation et de préparation. La décision d’adhésion prise par le conseil des ministres en novembre 2024, instance la plus élevée du pouvoir exécutif, relève d’un acte de responsabilité et d’engagement politique qui s’inscrit en droite ligne de la volonté permanente du pays d’aligner la gouvernance publique sur les bonnes pratiques. L’intégration du Bénin à la communauté OGP complète la liste des initiatives de bonne gouvernance auxquelles le Bénin a adhéré ces dernières années. Dans ce registre, figurent le Partenariat International pour un Budget ouvert ou en anglais, International Budget Partnership (IBP), Global Initiative for Fiscal Transparency (GIFT), Collaborative Africa Budget Reform Initiative (CABRI), etc.
La mise en œuvre des principes de OGP, à l’instar de ceux d’autres communautés ou plateformes, requiert indubitablement, une solidité institutionnelle et organisationnelle, un engagement et une responsabilité politique affirmés à travers la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques et surtout, la définition formelle d’un cadre de collaboration entre le Gouvernement et les acteurs de la société civile.
En s’appuyant sur ces exigences jugées nécessaires pour la prévention de la corruption, la bonne gestion des biens collectifs et la prise de décisions en faveur des populations, l’expérience du Bénin en matière de transparence budgétaire, de participation publique et de redevabilité peut servir de socle pour formuler une bonne stratégie d’implantation des indicateurs de bonne gouvernance définis par OGP. En effet, l’une des spécificités de la gouvernance ouverte du Bénin réside dans la robustesse de son cadre institutionnel qui privilégie un modèle de planification verticale des politiques publiques entre les administrations et une approche de gestion publique de plus en plus ouverte et responsable. Ces dernières années, le cadre institutionnel, s’est trouvé renforcé par un engagement politique qui s’est traduit au plan organisationnel par la création du Pôle Budget Ouvert. Cette structure, rattachée à la Direction générale du Budget, travaille en synergie avec les organisations de la société civile, les médias, le secteur privé, le bureau d’analyse budgétaire de l’Assemblée nationale, l’Association nationale des communes du Bénin, ainsi que divers groupes non constitués. Par ailleurs, la réglementation qui organise l’agenda budgétaire a été également rénovée pour offrir des espaces de dialogue avec la Société Civile. Sur les 17 étapes que compte le calendrier budgétaire, 13 offrent des possibilités d’interactions avec la Société Civile ainsi que les citoyens. Une application informatique dénommée « BousProB » est mise en place pour servir de cadre d’interaction avec les citoyens tout au long du cycle budgétaire. A cet effet, il n’est pas rare d’observer qu’au lendemain de la publication des rapports de reddition de compte, les citoyens affichent des réserves sur les données publiées, notamment les taux d’exécution physique d’un certain nombre d’infrastructures. Cet intérêt de plus en plus croissant au suivi des interventions publiques, justifie la place qu’occupe désormais le contrôle citoyen aux côtés des contrôles traditionnels que sont, les contrôles d’ordre administratif, les contrôles juridictionnels et parlementaires.
L’ouverture de la gouvernance contribue à renforcer la confiance des citoyens et à accroître l’attractivité du pays aux investisseurs ainsi que les partenaires techniques et financiers. L’impact de ces conséquences positives sont de plus en plus perceptibles sur la trajectoire de l’économie et des finances de l’Etat. En l’espace de huit ans, les recettes fiscales ont plus que triplé, passant d’environ 300 milliards de FCFA à plus de 1 000 milliards de FCFA, soit une progression de plus de 200 %. La moyenne de la croissance de l’activité économique est de 6,5 % malgré les multiples crises qui ont affecté les États et le développement de l’économie mondiale contre une moyenne de 5,2 % au niveau régional. Au-delà des résultats visibles de la gouvernance ouverte sur le cadre macro-économique, nous allons partager, à travers cet article, quelques résultats probants obtenus grâce à la vigilance et la franche collaboration des Organisations de la Société Civile qui jouent désormais un rôle d’appui-conseil aux pouvoirs politiques dans le processus de calibrage des dépenses publiques et de finalisation de la matrice des mesures fiscales.
Etudes de cas : le manuel scolaire, la santé communautaire : une réussite de collaboration à renforcer
Année 2021 : consultation citoyenne pour la formulation du budget de l’Etat
Dans cet exercice, la Direction générale du Budget soumet, chaque année, à l’appréciation et analyse des organes de la société civile répartis en des groupes thématiques, des notes d’analyse sectorielle sur les grandes orientations et stratégies budgétaires proposées par le pouvoir exécutif et déclinées par ministère en termes de cibles à réaliser et de moyens à mobiliser. A cette étape du processus budgétaire, le ministère de l’enseignement de base a affiché son engagement de réaliser pour la deuxième fois consécutive, l’indicateur : un manuel de français et de mathématiques pour chaque écolier du CI et CP. Il s’agit effectivement en termes d’engagement, d’un indicateur clé pour le sous-secteur des enseignements maternel et primaire. A la phase de budgétisation des dépenses ou les allocations budgétaires doivent répondre aux ambitions affichées dans les orientations de politiques, des groupes de la société civile plus précisément SOCIAL WATCH BENIN et l’ONG ALCRER dans un rapport conjoint adressé à la Direction générale du Budget ont dénoncé, la non disponibilité de manuels de français et de mathématiques dans les écoles, alors qu’il était précisé dans le cadre de performance du ministère que la cible était entièrement couverte. Autrement dit, 100 % des écoliers de CI et CP, selon les informations fournies par le département ministériel, dispose en 2020 de manuels. Cette situation après recoupement et analyse renvoyait à un défaut du système de collecte et de remontée d’information depuis les structures de base ; ce qui porte un coup au principe de sincérité budgétaire au moment de la budgétisation de la dépense. Les besoins réels étaient donc mal évalués laissant place à une sous-évaluation financière. Dans le cas d’espèce, pour l’approvisionnement des écoles en manuels scolaires afin de réaliser la cible de l’année concernée et l’année suivante, la Direction générale du Budget de concert avec les services du ministère sectoriel a revu à la hausse l’enveloppe budgétaire. Ainsi, l’enveloppe initiale de 280 millions de FCFA a été révisée à la hausse pour atteindre un peu plus d’un milliard de FCFA. Le cadre de dépenses a été donc réajusté grâce au mécanisme d’alerte pour donner priorité à cet indicateur de premier rang.
Année 2023 : renforcement du dispositif de santé communautaire
Un dispositif sur trois (03) ans construit pour consolider la santé des populations à la base était mis en place avec le soutien de certains Partenaires Techniques et Financiers (PTFs). Il consistait pour ces derniers de soutenir le ministère de la santé pour recruter des relais communautaires à déployer prioritairement dans les zones non suffisamment couvertes par les agents de santé. Il est établi par exemple comme indicateur clé de politique de santé, le ratio « un médecin pour 1000 habitants ». Alors pour sauver des vies humaines en facilitant le rapprochement du personnel de santé des populations à la base, les PTFs à travers une convention avec le Gouvernement, ont aidé au recrutement d’agents disposant d’un minimum de niveau de prise en charge sanitaire pour circuler dans les communautés villageoises aux fins de prodiguer des conseils sanitaires et au besoin administrer les premiers soins primaires avant le transfert des malades dans les centres de santé appropriés. Il est ainsi dit qu’au terme de la convention, que le Gouvernement prend le relai du financement. En 2022, lors de l’élaboration du budget de l’État pour l’année 2023, il a été constaté que les documents prévisionnels du ministère de la Santé ne faisaient pas mention de la poursuite du dispositif, pourtant prévue dans la convention, avec une incidence financière attendue pour l’État. Il convient de rappeler qu’en trois (03) ans, ce dispositif a eu des effets très positifs sur les populations : contribution à la réduction du taux de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Mais grâce à la dynamique de collaboration institutionnelle, les ONG ont immédiatement alerté la Direction générale du Budget sur la nécessité d’amener le ministère responsable à prioriser la poursuite de cette initiative, qui au-delà de son impact visible sur les populations rurales, relève d’un engagement international. Il s’en est suivi la mise en place dans le portefeuille du ministère de la santé, la création d’une ligne budgétaire dénommée « FADEC- santé communautaire » avec une dotation de départ de 1 milliard de FCFA. Aujourd’hui le budget alloué dépasse 4,5 milliards de FCFA pour un effectif d’agents communautaires de plus de 13.000.
En conclusion, la bonne collaboration avec la Société Civile peut constituer un facteur d’amélioration du suivi budgétaire et de calibrage des enveloppes budgétaires en lien avec les véritables besoins des populations énoncés dans les documents de politique.